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L'interview du poète et journaliste Jean-Christophe Meyer

Jean-Christophe Meyer, journaliste au journal l’Alsace, est passé maître dans l’art de la poésie en dialecte alsacien avec son dernier recueil « Lìechtùnge ». Petit-fils du poète alsacien Paul-Georges Koch, il nous dévoile aujourd’hui sa passion pour les mots et la vision engagée de son identité alsacienne.

Bonjour Jean-Christophe ! Vous qui êtes journaliste depuis longtemps et poète depuis toujours, quel rapport voyez-vous entre ces deux formes d’écriture, journalistique et poétique ?

Comme vous le rappelez, je vis du journalisme. C’est un travail d’enquête, alors que l’écriture poétique, que j’affectionne depuis toujours, naît d’une inspiration qui peut venir de n’importe quoi. A l’inverse du roman, qui nécessite une construction et beaucoup de temps, l’écriture poétique se nourrit d’instants, comme une émotion à laquelle je n’aurais pas besoin de réfléchir, et dont les premiers jets sont toujours les meilleurs.

Votre recueil de poèmes est en alsacien, avec, à chaque fois, la traduction en français. Pourquoi avez-vous choisi le dialecte pour votre écriture, quel sens a-t ‘il dans votre vie ?

J’ai écrit mon premier poème à cinq ans. J’écrivais des petits poèmes humoristiques en français, alors que dans ma famille, la langue que nous parlions était l’alsacien. Le français s’est imposé à moi avec l’école de la République et me suit toujours dans mon parcours professionnel, mais ma langue de cœur, que j’ai redécouverte à travers mes études Erasmus en Allemagne, est l’alsacien. Le dialecte fait donc partie de moi car il révèle le petit enfant alsacien que j’étais et que je suis. Et c’est cet enfant-là, qui par sa capacité d’émerveillement, fait naître l’écriture poétique.

Cette écriture poétique dont vous parlez et qu’on retrouve dans votre recueil est très particulière. À la fois esthétique et engagée, telle serait votre définition du dialecte alsacien ?

Pour moi la poésie est une littérature orale qui doit être dite, voire scandée. De là cette recherche esthétique de la langue et de la phonétique des mots, qui est très importante dans mes poèmes. J’aime utiliser des mots rares, anciens, des mots bibliques, même des néologismes, car les mots sont des créations riches de sens. Mais bien sûr le sens de cette écriture, pour moi, est de révéler tout le potentiel littéraire de l’alsacien, qui foisonne de détails linguistiques. D’autre part, ce recueil traduit ma volonté de rendre hommage à ce dialecte en état de déliquescence, réduit à un usage très basique par ceux qui le parlent. L’alsacien est un engagement qui pour moi est marqué d’espérance, tant par cette volonté de le faire vivre, que par ce qu’il évoque en moi comme émotions.

Ces émotions dont vous parlez, où trouvent-elle leur source ?

Comme je l’ai dit, ce sont des émotions qui surgissent n’importe quand, stimulées par n’importe quoi. Pourtant il est vrai que les poèmes de ce recueil s’inspirent beaucoup de la nature, mais non pas comme un but, sinon comme un moyen de constater le monde qui nous entoure, de réfléchir sur des thèmes universels comme le temps, la vie, la mort, la dimension éphémère des choses… Car pour moi, au-delà d’une simple peinture de mes émotions, c’est une poésie d’action. Elle est une constatation du côté noir de cette vie et fait naître alors une sorte de révolte, ou plutôt un espoir, un courage d’agir.

Et cette incitation à l’action, c’est par l’alsacien que vous avez voulu la transmettre…

Oui, car les poèmes sont traduits en français, mais surtout comme une aide à l’alsacien. Même si c’est assez compliqué, je passe couramment de l’alsacien au français dans la vie de tous les jours. Cependant la traduction ne permet pas de tout retransmettre, traduire c’est trahir, n’est-ce pas. Pour moi, c’est le poème qui commande, selon le vécu, la cristallisation du moment. Et pour moi cette cristallisation se fait en alsacien.

Vous dites être attristé par la dégradation de l’usage de l’alsacien, lui voyez-vous pourtant un avenir ? La Suisse, qui joue un rôle toujours plus important dans notre région, pourrait-elle être un moyen de faire vivre le dialecte ?

On constate en effet une certaine hégémonie suisse dans notre région, et je dirais même que l’alsacien d’ici est teinté du dialecte bâlois. L’influence est donc là, et oui, l’alsacien pourrait trouver un moyen de survivre à travers le suisse-allemand. Il faut dire aussi que la région de Bâle-campagne et le Sundgau ont une identité très proche. Par contre, pour que l’Alsace ne perde pas son statut de troisième pôle de la région, il faudrait à tout prix conserver l’alsacien. La mécanique de la région a été rompue par le détachement de l’Alsace d’avec l’Allemagne et la Suisse, et ce à cause de la langue. L’Eurodistrict Trinational de Bâle (ETB) peut retisser les liens à travers des projets communs, malheureusement les plans de la Région Alsace sont, d’après moi utilitaristes, économiquement parlant.

La survie de l’alsacien apparaît donc comme une nécessité pour vous, tant au sens politique, économique que social. Moi qui ai suivi une scolarité bilingue en allemand, j’ai toujours pensé que l’allemand serait suffisant pour m’entendre avec mes amis outre-Rhin. Il est pourtant vrai que m’approprier le suisse-allemand est beaucoup plus compliqué que je ne le pensais, et que savoir l’alsacien aurait pu m’y aider…

Pour moi l’éducation bilingue dans notre région devrait être incontournable, pourtant je dirais que le bilinguisme en Alsace a une vision purement utilitariste de l’allemand, et qu’il manque une dimension dialectale en parallèle à son apprentissage. L’allemand est trop considéré comme la langue « du voisin », alors que c’est également la nôtre. En outre, je trouve que l’Ecole n’intéresse pas les élèves à la littérature alsacienne. Des poètes comme Emile Storck, André Weckmann, Claude Vigée ne sont pas étudiés, et cet apprentissage apparait souvent comme un enfermement. C’est ridicule ! L’alsacien n’a de frontières que celles qu’on lui donne et personnellement, je suis capable de parler le dialecte dans 8 pays d’Europe et de m’y faire comprendre. Nous avons une proximité culturelle et linguistique avec de nombreux autres peuples à travers ce dialecte. En outre, Goethe disait bien que c’est le dialecte qui fait l’âme d’un pays…

La promotion de l’Alsace et de son identité culturelle en tant que facteur d’ouverture au monde… L’idée éveille la curiosité ! Est-ce d’ailleurs votre thème de prédilection ou avez-vous d’autres projets ?

On a trop tendance à penser la protection de notre identité régionale comme un repli sur soi, voire un enfermement. Pourtant l’Alsace a tout à gagner en faisant vivre ses traditions, encore plus d’un point de vue social qu’économique. Elle a une identité qui crée un lien accueillant, qui embrasse l’Autre. Je dirais que l’Alsace est un engagement plus qu’un thème de prédilection, et j’ai d’ailleurs d’autres projets d’écriture, de voyage notamment…

En alsacien ?

Peut-être, cela dépendra de l’instant… :)

Nous nous en réjouissons d’avance ! Merci infiniment Jean-Christophe d’avoir partagé ces réflexions avec nous aujourd’hui !

Merci à vous !

Interview réalisée par Clémence Prillard


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