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May 9 2015
Sead a 20 ans. Depuis trois ans, il vit en France auprès de ses cousins en attente de papiers qui ne lui sont toujours pas octroyés. Il a quitté son pays natal, le Kosovo, et sa ville de Mitrovica seul, sans ses parents, pour avoir une chance de réaliser son rêve, sa passion : le dessin. Cet art, qu’il maîtrise déjà avec beaucoup de talent, il aimerait le faire fructifier en faisant des études, en ayant un diplôme qui lui permettrait peut-être un jour d’en faire son métier. Jusqu’aujourd’hui, ses créations sont là, au fond d’un tiroir, comme les bribes d’un idéal qu’il n’ose rêver.
Comme de nombreux Kosovar, Sead est venu en France pour fuir l’absence d’opportunités de son pays, son climat chaotique, autant économique que politique, dans l’espoir de quelque chose de mieux, un endroit où il pourrait s’épanouir. En effet le Kosovo présente un taux de chômage de plus de 30% (Source : FMI, 2013) et 29,7% de sa population vit en dessous du seuil de pauvreté (Source : Banque mondiale, 2011). Ces chiffres expliquent l’afflux massif de migrants vers l’ouest de l’Europe, d’autant plus que le Kosovo ne parvient toujours pas à instaurer une stabilité politique pour administrer le territoire et ses minorités. Enfin, les Kosovar ne jouissant pas d’une reconnaissance internationale de la souveraineté de leur pays, toujours en pourparlers avec la Serbie, il est difficile pour les jeunes d’imaginer une perspective d’avenir sur le court terme dans leur pays.
Pour autant, la coopération qui se construit peu à peu entre le Kosovo et l’Europe permettent de présager de prochaines améliorations économiques et sociales. (Un dialogue sur la libéralisation des visas de court séjour a été ouvert ainsi qu’un accord par le Conseil sur la participation du Kosovo aux programmes de l’UE. Le Conseil du 28 juin 2013 a adopté la décision autorisant la Commission à négocier un accord de stabilisation et d’association (ASA) avec le Kosovo. Les négociations ont débuté le 28 octobre 2013. Le texte de l’ASA a été paraphé le 25 juillet 2014- Source France Diplomatie[1]). Nous parlons certes de cette vague migratoire dans notre région, souvent en termes peu élogieux, mais nous oublions de nous pencher avec plus d’attention sur tous ces jeunes, ces cerveaux, cette main d’œuvre, qui rêvent de stabilité et d’avenir. Ces jeunes albanais viennent en France pour construire, se construire, et il est vrai que notre région transfrontalière présente de nombreux avantages à la réalisation de ces projets.
Sead a fait une demande d’asile qui a été refusée quatre fois, après de nombreux réexamens devant le juge. Il a la chance de vivre auprès de sa famille établie en France qui le soutient beaucoup et souhaite qu’il réussisse, et bénéficie de l’aide d’une assistante sociale. Pourtant, devant ce mur administratif, il ne sait pas comment faire pour s’en sortir. Les cours de français qu’il suit au Centre Socio-éducatif de Saint-Louis l’aident à s’adapter à ce pays qu’il ne connaît que trop peu et où il souhaite s’établir dans la durée, néanmoins il ne parvient pas à rentrer dans le système à cause de sa nationalité. Cette angoisse, ce mal-être, et les recours administratifs chronophages qui l’ont empêché de vivre sa passion créatrice (streetart, dessins réalistes, portraits,…) il arrive peu à peu à les dépasser. Sur les conseils de ses cousins, qui lui ont offert du matériel pour dessiner, et qui le poussent à s’exprimer à travers son art, il a créé une page Facebook, où il publie ses dessins, véritables bijoux esthétiques. Voici sa page : https://www.facebook.com/seadrawings
Pour lui, le fait de partager son art n’a pas vocation au succès. Etant d’un naturel timide, sa cousine me confie pendant notre entretien qu’elle a dû le pousser un peu pour qu’il se décide à exposer ses créations. Pour lui, le dessin est une forme de distraction mentale, un art qui lui donne de l’énergie, où il se réfugie aussi. N’ayant pas les moyens de suivre une formation en art, il s’inspire des créations qu’il trouve au gré de ses recherches sur le net, notamment à travers Instagram. Véritable passionné, pas un jour ne se passe sans qu’il dessine, parfois chaotiquement, parfois très précisément, comme l’expression d’une recherche de son identité.
Sead est un jeune homme plein de bonne volonté. C’est parce que je crois qu’il mérite d’être sinon connu, du moins entendu, que j’ai souhaité faire son portrait. Il fait partie de tous ces jeunes d’aujourd’hui, qui qu’importe qu’ils soient français, suisses, allemands ou kosovar, aspirent tous à un même but, la réalisation et la reconnaissance. Si je souhaite leur donner cette chance de s’exprimer, c’est car moi-même on me l’a offerte, et que Sead est aussi le visage de notre région.
[1] http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/kosovo/presentation-du-kosovo/