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Retour vers le futur, ou l'épopée poétique de Jean-Christophe Meyer

Retour vers le futur, ou l'épopée poétique de Jean-Christophe Meyer
Retour vers le futur, ou l'épopée poétique de Jean-Christophe Meyer

Il fait déjà nuit quand je rejoins à la hâte le groupe déjà nombreux de spectateurs venus assister à l’événement qui se révèlera bientôt hors du commun. Tous se sont réunis dans cette crypte à la douce chaleur, tels des membres d’une confrérie secrète. C’est donc là, à l’abri des regards, que viennent se recueillir les Hommes qui célèbrent le culte de la langue ? Je m’y aventure, en journaliste violeuse d’instants, bien que reliée par une force que je découvrirai bientôt à ceux qui chantent l’oraison funèbre d’un dialecte en voie de disparition. Jean-Christophe Meyer est là, et je me dis en le voyant : voilà un homme qui n’a pas oublié son cœur d’enfant. Je m’installe, intriguée, sur une chaise au fond, essayant de trouver ma place dans un monde dont le vécu me dépasse. Je sais pourtant pourquoi je suis là, et ma curiosité n’a pas de limites, toute excitée qu’elle est de voir autant de têtes se réunir pour une lecture de poèmes, en alsacien de surcroît. La rencontre a lieu à Riehen, village à la sortie de Bâle, dont la Fondation Beyeler qui s’élève à deux pas du Kellertheater où je me trouve, jouit de son rayonnement artistique. En écoutant les mots d’introduction à la soirée, je me demande alors si la Suisse ne serait pas ce foyer fertile, cet eldorado inespéré pour permettre à l’alsacien de survivre ? Tel un cocon hors du temps, la Suisse permet en son sein la préservation des particularités locales. Elle nous présente, elle nous soutient, je me surprends à penser. Tiens ! Ce « nous », d’où sort-il ? Est-ce donc cela, ce lien que j’ai ressenti en rejoignant ces gens ? Je me sens donc un peu membre de ce groupe… pourquoi ? La majorité des personnes présentes sont de nationalité suisse, mais je ne me sens pas étrangère non plus. A cet instant, je prends conscience que le Dreiland m’a devancée depuis longtemps. Je me rends compte qu’à l’instar de Jean-Christophe Meyer, je porte le flambeau d’une réalité, belle et bien là, sous mes yeux. Et je souffle, car je me dis que ma volonté de faire vivre le Dreiland connaît déjà un soutien, alors que je ne le soupçonnais pas… Vanité, me direz-vous ? Non, c’est bien l’ignorance qui m’a séparée jusqu’à ce jour de ces Suisses et d’autres, moins Suisses, amoureux de l’Alsace. Pour la première fois, je vis le Dreiland en son cœur, c’est-à-dire qu’en me trouvant au milieu d’eux, partageant une affection commune pour l’endroit où je suis née, je communie avec mon voisin, je rentre en lien direct avec lui et à travers une seule chose : l’Amour.

Car oui, c’est bien l’amour qui m’a amenée là. L’amour d’une région que je n’avais jamais rencontrée. Il y a quelques mois encore, je ne trouvais pas ma place ici ; avant de partir et de revenir. Le Dreiland s’est révélé à moi et j’en suis encore enthousiasmée. Parce que j’ai ouvert les yeux sur ce qu’est Vivre le Dreiland, j’aime la richesse qu’il détient. Et ce soir-là, la richesse m’a été offerte en partage, ce que je considère comme un acte d’amour. Comme je me sens privilégiée alors, entourée de personnes qui partagent ma culture !

Mais chut ! je tais vite mes pensées pour me laisser bercer par le spectacle. Et il est fameux. J’écoute alors, pour mieux percevoir, la langue que nous chante Jean-Christophe Meyer. J’écoute, concentrée, ce langage que je n’ai jamais appris et qui vit pourtant en moi comme en tant d’autres jeunes de ma génération. Ces accents entendus auprès de nos grands-parents mourront avec eux, je me dis. Ils n’ont pas voulu transmettre l’alsacien à leurs enfants, c’est leur choix. Sûrement n’ont-ils compris que trop tard ce que signifie faire vivre l’identité du Dreiland. Peu importe ! J’écoute, même si je ne comprends pas tout, et le langage que j’entends fait écho à des centaines de souvenirs enfouis dans mon cœur. Noémie Schwank, qui accompagne Jean-Christophe, a tôt fait de leur ouvrir la porte par son morceau de saxophone qui vibre dans l’air grave de cette cave où nous nous trouvons. Car voyez-vous, le fait de ne pas tout comprendre permet à mon cerveau de digresser et je me demande en regardant Jean-Christophe, si l’objet de sa lutte trouvera encore du soutien quand les têtes pleines, mais grisonnantes des spectateurs, auront quitté cette salle pour d’autres chemins.

Mir wu singe sodde

D’alt Sproch

Wu ruehjt in uns

Verdolwe

Witt

Nous qui devrions chanter

La langue ancienne

Qui repose en nous

Enterrée si

Loin

Le saxophone fait résonner des mélodies qui se répètent, pas comme l’Histoire, qui ici me prouve que l’on peut faire table rase du passé. Allemands, Français et Suisses sont là, unis certes dans un passé commun, mais aussi une culture commune et un avenir commun. L’avenir, c’est bien ce que portent les lignes de ces poèmes enchanteurs, car elles sont le cri d’un enfant qui chante la langue de l’espoir. À ce moment je ressens la force symbolique d’être tous réunis dans ce Kellertheater… N’avons-nous pas tous une partition à jouer, une litanie à murmurer à l’oreille de ceux qui nous écoutent ? Noémie change d’instrument comme on changerait de moyen d’expression. D’ailleurs, quels nouveaux outils devriez-nous inventer pour faire vivre l’alsacien ? Le saxophone se fait plus grave, plus profond. Elle le plonge dans l’eau et joue, et l’eau bout d’un son lointain qui gronde. C’est pourtant de la clarté qu’il nous faut ! Oui, de la lumière pour se rendre compte que notre avenir est dans le partage, et que le partage dans le Dreiland se fait aussi par la langue. Car nous avons une langue commune, et je dirais même qu’elle se décline en trois, comme notre culture, unique, mais multifacettes. Aujourd’hui, je me surprends à parler mieux suisse-allemand qu’alsacien. Tant pis, tant mieux ? Je sais juste que les générations qui viennent n’auront sûrement pas la chance de se poser cette question, sauf… Sauf si nous reconnaissons que nous avons tout à gagner à connaître notre histoire et à faire vivre l’ode au temps, pour mieux nous connaître, et mieux nous partager. Le Dreiland est déjà une région riche, et en tellement de choses, mais elle est plus riche encore quand elle se partage.

U di Lachle wa de Doej

Verwacht- Morjeliechtung

Wu mr d’Hoffnung u

D’Walt verschankt.

Et ton sourire quand le jour

Se lève – clairière matutinale

Qui m’offre l’espoir

et le monde !

Liechtunge, par Jean-Christophe Meyer

(Cf précédent article sur Jean-Christophe Meyer disponible sur le blog)

Article rédigé par Clémence Prillard

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